Le jeudi 14 novembre 2024, s’est déroulée la conférence Calligramme mise en place par le lycée Henri Poincaré de Nancy, en lien avec la résidence ARIEL de l’université de Lorraine. Cet évènement a permis aux élèves de lycée et de classes préparatoires de faire la rencontre de Puja Changoiwala, auteure et journaliste basée à Mumbai. Elle décrit cette résidence comme une opportunité unique et fantastique lui permettant de prendre quatre mois pour penser et créer, tout en touchant un public nouveau. Les élèves ont pu alors lui poser des questions afin de comprendre l’inspiration et l’engagement qui parcourent ses œuvres. En effet, Puja Changoiwala dit avoir compris le sens de l’injustice dès son plus jeune âge en observant le traitement des domestiques qui travaillaient chez elle : elle se déclare être une personne chanceuse et privilégiée dans la société indienne. De la même manière, son goût pour le journalisme lui est apparu comme une évidence ; c’est ainsi qu’elle nous raconte l’épisode des attentats de Mumbai en 2008, qui ont suscité en elle un besoin de voir et d’aller sur le site de la fusillade.
Ainsi, sa curiosité et son engagement de journaliste nourrissent son écriture et son imagination d’écrivaine. Cette symbiose se retrouve dans son travail, et notamment dans ses œuvres comme Gangster on the Run (publié en 2020) qui traite du monde du crime indien ou encore son premier roman Homebound (publié en 2021), dont un chapitre sera traduit en français par les lycéens et étudiants de CPGE de Poinca. Ce dernier narre le périple de la famille Meher, contrainte à l’exode rural à cause des conditions sanitaires imposées à Mumbai par la pandémie de la Covid-19. Avec son premier roman, Puja Changoiwala désire dépeindre la réalité de la crise de 2020 sans pour autant en faire une histoire triste ; son souhait est alors de donner une voix à ceux qui ne peuvent pas ou plus s’exprimer. Dans cette perspective, elle s’est beaucoup entretenue avec des travailleurs migrants afin d’être la plus fidèle possible à la réalité de leur situation, jusqu’à des épisodes parfois sanguinolents.
Elle utilise et puise alors son inspiration dans son expérience de journaliste qui lui permet de réinventer son écriture, Puja Changoiwala confie aux élèves le projet sur lequel elle travaille : un roman inspiré de son expérience personnelle, dans lequel une journaliste est poursuivie par la justice, soupçonnée de prôner le terrorisme à cause des enquêtes qu’elle mène dans ce domaine.
Jusqu’au bout, son écriture se montre donc très engagée et cela s’intensifie surtout après son master en journalisme au Royaume-Uni, lorsqu’elle se tourne vers la cause humanitaire, permettant le lien entre l’Inde et le reste du monde. L’auteure confie aux étudiants que son écriture a un but précis : celui de dénoncer, n’en déplaise au gouvernement indien. Lorsqu’on lui demande si elle craint la censure, Puja Changoiwala répond : « Non, j’ai juste peur d’être arrêtée ». En effet, le gouvernement ne se contente pas uniquement de censurer les contenus qu’il juge déplaisant, mais il prend des mesures contre leur auteur. C’est pourquoi écrire de la fiction lui permet de dénoncer les situations d’injustices en Inde, tout en limitant les risques d’opposition à ses écrits.
Comme elle l’avait dit dans son interview de novembre 2021 publiée dans le Times of India, l’auteure réaffirme que « toutes les bonnes fictions sont basées sur la réalité », ce qui ne compromet donc pas la véracité des situations et histoires que Puja Changoiwala relate dans ses romans, et que sa carrière de journaliste appuie d’autant plus. Animée par la volonté de raconter la vérité, l’écrivaine et journaliste n’hésite pas à rédiger les scènes les plus « dégoûtantes » qui lui ont été contées par les personnes qu’elle a interrogées durant ses recherches. Elle avoue alors qu’il lui arrive d’être dégoûtée de la dureté des événements qu’elle narre, mais ajoute à l’attention des étudiants : « Si vous aviez lu ce que j’ai écrit, vous seriez vous aussi dégoûtés », une remarque témoignant une fois de plus des nombreuses difficultés que doivent subir les populations pauvres indiennes. Rappelons ici que près de la moitié de la population indienne vit avec moins de l’équivalent de 3,10 dollars (soit 2,95 euro) par jour, le seuil de pauvreté médian de la Banque mondiale.
Néanmoins, Puja Changoiwala révèle pour elle la nécessité d’écrire encore et encore au brouillon des scènes de plus en plus écœurantes afin d’obtenir le brouillon parfait. L’auteure dispense ses conseils d’écriture aux élèves : écrire sur des sujets qui les intéressent vraiment pour éviter que le manque de passion ne leur fasse abandonner l’écriture ; se créer un emploi du temps et une routine d’écriture ; structurer son brouillon… et garder le sourire malgré les difficultés qui se présentent lors de l’écriture d’un roman et les questionnements personnels que peut faire émerger la plume.
Mais surtout, selon l’écrivaine et journaliste, la littérature rend possible un lien unique qui permet une relation intime entre l’auteur et son lecteur. Alors que nous avons tendance à penser que le changement est forcément quelque chose de visible et grandiose, Puja Changoiwala croit plutôt qu’il peut être discret et progressif. Ainsi, elle conseille surtout aux élèves de tenter de le réaliser coûte que coûte, car même si le progrès peut sembler hors d’atteinte, la littérature, elle, peut avoir un grand pouvoir : celui de changer les choses.
Ninon P. & Elyse J. (étudiantes de khâgne LSH)