Les étudiants de CPGE lettres en spécialité géographie (première et deuxième années) ont eu l’opportunité cette année de rencontrer des acteurs de l’aménagement de la frontière franco-allemande. Comment rendre plus accessible le passage dans l’autre pays ? Est-il possible de rendre la cohabitation plus facile ? Les étudiants ont étéreçuspar l’Eurodistrict Saarmoselle, un organisme de projets dont la vocation est de dépasser les obstacles matériels générés par la frontière pour créer à terme les conditions d’une véritable agglomération transfrontalière. Chaque année, de nombreux projets sont proposés dans les domaines des transports, de la santé, de l’emploi et du tourisme. Ces projets sont initiés par l’Eurodisctrict, notamment sur le siège de Sarrebruck où les étudiants ont été accueillis. Leur objectif est de renforcer la coopération transfrontalière pour mieux relever les défis d’un territoire en profonde mutation économique et sociale. Leur travail a conquis de nombreuses personnes dont certaines se voient déjà travailler au service de l’Union européenne dans quelques années.
Après un pique-nique au jardin du château de Sarrebruck, les apprentis géographes ont pris la route pour découvrir l’histoire du jardin franco-allemand au cœur de la ville. Celui-ci s’est ainsi retrouvé au cœur des rapports conflictuels entre les deux pays, entre 1870 et 1945. Il deviendra ensuite un ferment de la réconciliation. Un sculpteur allemand a d’ailleurs mis en place une « porte sur l’avenir » en participation avec les habitants, comme pour transformer ce jardin en un lieu de paix malgré le contexte historique régnant dans ce lieu.
Puis, après ces éclaircissements historiques, nous nous sommes rendus à la mairie de Spicheren, où nous avons été gentiment reçus par plusieurs élus municipaux, notamment l’adjointe au maire. L’objectif de cette rencontre était d’échanger avec des acteurs locaux, et de comprendre les portées de la localisation de cette commune au cœur d’une zone frontalière. Cette commune, qui a notamment été le théâtre de la célèbre bataille de Forbach-Spicheren le 6 août 1870, compte aujourd’hui environ 3400 habitants au dernier recensement. Sa principale spécificité est sa localisation à 3 kilomètres de la ville allemande de Sarrebruck. Cette commune est donc aujourd’hui au centre des échanges transfrontaliers, qui viennent dicter les dynamiques régionales, et illustre une vision nouvelle de la frontière. En effet, la petite commune compte 15% d’habitants allemands. Elle est donc un lieu de rencontres culturelles, l’arrivée de nombreux Sarrois ayant permis de sceller de nombreuses « unions mixtes » depuis les années 1970. L’enjeu pour la commune devient donc assez vite de promouvoir le bilinguisme.
Pour ce faire, en 2006, la commune de Spicheren a mené un projet d’école “biculturelle” (une crèche franco-allemande). Il s’agit d’une authentique volonté de promotion du bilinguisme, et du maintien du contact avec la langue allemande pour les plus jeunes. Toutefois, ces politiques d’échanges se heurtent à des problèmes d’ordre pratique à Spicheren. Un des premiers problèmes pour les élus locaux est “un manque d’investissement des Allemands au sein de la commune”. On déplore, du côté des élus, que la scolarisation des enfants s’effectue après les classes maternelles, en Allemagne, et non en France. De surcroît, les élus notent aussi que s’il n’y a pas de souci réel de cohabitation entre les deux communautés, les Sarrois s’impliquent peu dans la vie associative de la commune. De plus, les élus blâment une flambée des prix du foncier et de l’immobilier qu’ils attribuent aux Allemands, au pouvoir d’achat plus élevé. Plus récemment, la pandémie a fragilisé les solidarités territoriales dans cette région.
En clair, les frontaliers ont mal vécu les restrictions faites à leur mobilité pour se rendre à leur travail de l’autre côté de la frontière ou les vexations dont ils ont fait l’objet. L’adjointe au maire de la commune parlait d’un “enthousiasme modéré” pour décrire la situation actuelle de la commune, au lendemain de la crise du covid. Cette visite, dans le cadre de la sortie, a permis aux étudiants de confronter la théorie à des limites pratiques mises en avant par les élus de Spicheren. Toutefois, ce discours n’est pas à considérer comme un discours eurosceptique, mais traduit surtout le fait qu’il ne suffit pas de cohabiter pour dépasser toutes les frontières culturelles et mentales qui séparent encore les deux communautés, francophone et germanophone.
Amir Kerkri et Jeanne Eme-Rabolt